Notes autour des sculptures de Benoît Luyckx, Gilbert Lascault
L’invention des surfaces
Pour Benoît Luyckx, sculpter c’est, entre autres choses, réfléchir autour de la pluralité des surfaces. Ou plutôt, il s’agit pour lui d’inventer des surfaces, de faire jouer les surfaces les unes avec les avec les autres, de les opposer les unes aux autres, de les faire glisser les unes dans les autres.
Il se donne le rugueux et le lisse, le mat et le brillant. Il les juxtapose dans la même sculpture.
Parfois, il trace sur une partie de la surface une sorte de filet, un réseau géométrique. A des plans verticaux et horizontaux, il associe des plans obliques. A des surfaces planes, il joint de voluptueuses surfaces courbes. Il rapproche grandes étendues unies et multitudes de petites surfaces accidentées.
Il aime à la fois la douceur et les aspérités, le maîtrisé et le brut, le vierge et le travaillé. Il ne crée pas de hiérarchie entre les surfaces. Il ne privilégie pas l’une par rapport aux autres. Il jouit des particularités de chaque surface. Il rend chaque surface plus variée, plus riche en la mettant en contact avec d’autres dont les caractères sont différents.
Il faut attacher grande importance à ces jeux de surfaces, à ces rencontres d’épidermes. On se souvient de l’importante et paradoxale affirmation de Paul Valéry : « Le plus profond, c’est la peau ».
On se rappelle également l’hypothèse du philosophe Gilles Deleuze : « il se peut que la conquête des surfaces soit le plus grand effort de la vie psychique, dans la sexualité comme dans la pensée ».
Jeux de lumière
Jouer avec les surfaces, c’est jouer avec la lumière, la refléter, la diffracter, la disperser, la métamorphoser.
La sculpture constitue des pièges à lumière. Elle la capte, la vole, la transforme, la renvoie. Selon les moments de la journée, selon l’état du ciel, la sculpture change. Souvent d’ailleurs, Benoît Luyckx permet à ses sculptures de tourner autour d’un axe sur un socle, afin d’augmenter le nombre de leurs jeux possibles avec la lumière.
Taille directe
Benoît Luyckx a d’abord travaillé la pierre calcaire de Saint-Restitut. Maintenant, il sculpte surtout les marbres, blancs ou noirs. Il aime la taille directe dans la pierre, le contact avec sa matière, le risque qu’il court à chaque moment de briser son œuvre. « Je ne peux jamais, dit-il revenir en arrière, ni recoller les morceaux ». Grâce à la taille directe, il fait l’expérience de la complicité du marbre et de ses révoltes. Parfois, heureux, il lui semble deviner les désirs du marbre et l’aider à les réaliser.
Il accomplit les rêves du marbre lui-même. Il rencontre aussi son extraordinaire et paradoxale fragilité.
Car le marbre est masse qu’un geste imprudent peut faire éclater.
Fascination du géométrique
Les cubes, les machines, les gratte-ciel de New York qui se reflètent les uns dans les autres, les fenêtres régulières des cités modernes fascinent Benoît Luyckx. Il est, face aux géométries de la modernité, à la fois séduit et effrayé. Il souhaite que ses sculptures les figurent, les apprivoisent, les mettent aussi en rapport avec le charnel, avec le voluptueux, avec le rêve. Une de ses œuvres a pour titre :
« Mécanique d’Evasion », comme si le but de la mécanique était la liberté et le bonheur…
Plis, cambrures, arabesques
Cambrures, courbures, galbes, inflexions. Arqué, arrondi, bombé, circulaire, contourné, enroulé, incurvé, ondulé, onduleux, sinueux, tors. Arabesques, arcs, coudes, festons, méandres, spirales, volutes. Plis, fronces, retroussis, creux, replis, labyrinthes. Plier, arquer, couder, gauchir. Caresser. Toujours caresser. Tels sont quelques-uns des mots que suscitent les sculptures de Benoît Luyckx. Dans ses œuvres (comme dans celles d’autres artistes sculpteurs) les grandes ondulations du sol, les plis d’une étoffe, les courbes d’un corps caressé se désignent les uns les autres, et en quelque sorte rêvent les uns des autres. Des allusions se multiplient aux seins de la femme, à son sexe, à ses hanches, à la rencontre de deux corps amoureux.
Ce sont toujours allusions volontairement imprécises et peut-être d’autant plus troublantes. Car ici le désir est diffus, indéfini, à la fois violent et indécis. La sculpture naît ici des errances d’Eros.
Gilbert Lascault
Critique d’Art